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Martin Winckler
Lorsque j’ai vu le titre De points et de virgules pour l’un des Rendez-vous coupables des Printemps meurtriers de Knowlton, je n’ai pu m’empêcher d’aller m’asseoir dans la salle. Comment Laurent Chabin et Martin Winckler allaient-ils faire pour nous parler de ponctuation et Chrystine Brouillet animer cette discussion? Suspense…
Si Johanne Seymour a choisi le thème de la ponctuation, c’est parce que lors d’un souper chez Chrystine Brouillet, certains auteurs en avaient parlé. « Je devais être dans la cuisine, parce que je ne me souviens pas de cette discussion », a dit la créatrice de Maud Graham. « Et bien moi non plus, je ne m’en souviens pas », a répondu Laurent Chabin. « Cela devait être au détour d’une autre conversation », a prétendu Martin Winckler. Ou bien alors la soirée était déjà bien avancée…
Mais peu importe pour Martin Winckler, le livre qui a révolutionné sa vie d’auteur, d’une certaine manière en tout cas, c’est le Traité de la ponctuation française de Jacques Drillon. « Pour moi, c’est un ouvrage formidable. D’une part parce qu’il nous permet de comprendre l’histoire de la ponctuation et d’autre part parce qu’il nous permet de connaître toutes les occurrences possibles des différents signes de ponctuation. Par exemple, j’y ai appris qu’il y avait 121 usages possibles de la virgule ».
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Laurent Chabin
Et ces multiples possibilités sont essentielles pour Laurent Chabin et Martin Winckler puisqu’elles permettent de créer des images dans la tête des lecteurs. « C’est aussi cela la littérature » souligne Martin Winckler. « D’ailleurs, dans les bandes dessinées ou les Comic Book, il y a tout un jeu avec la ponctuation ». En effet, nous n’avons qu’à penser au célèbre Capitaine Haddock et à ses injures qui en disent bien plus que les mots eux-mêmes.
« La ponctuation, c’est aussi l’occasion de donner un rythme au texte », explique Laurent Chabin. « C’est délibérément que j’utilise ou que je surutilise les points de suspension ou même des points d’interrogation suivis de points d’exclamation. Si cela ne marche pas, on n’a qu’à inventer les points d’exclamarrogation », ajoute-t-il. « D’ailleurs, je me suis souvent battu avec les réviseurs linguistiques parce que je ne veux pas que l’on touche à mes virgules. Finalement, je suis un peu comme Baudelaire », dit-il en riant.
Les deux auteurs s’entendent également pour dire que la ponctuation leur permet de personnaliser leur texte et même leur histoire. « Il suffit parfois de lire à haute voix pour se rendre compte du pourquoi on met une virgule ou pas à un certain endroit. Et ça, ce n’est pas une question de grammaire, c’est une question de rythme », explique Martin Winckler. « La ponctuation, c’est en fait la musique de la phrase », complète Laurent Chabin.
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Chrystine Brouillet
C’est aussi l’occasion de permettre aux personnages d’hésiter, d’avoir des doutes, de ne pas terminer leurs phrases. « La ponctuation, ce n’est pas uniquement le moyen de clarifier le message, c’est également le moyen de faire passer des émotions », précise Laurent Chabin. Mais cela reste l’apanage de chaque auteur. « Par exemple, lire Marie-Claire Blais, c’est presque un exercice au début », souligne Chrystine Brouillet. « Mais au fur et à mesure de la lecture, on prend le rythme et on s’adapte ». « Et ce qui est extraordinaire là-dedans », ajoute Martin Winckler, « c’est que c’est une surprise visuelle également ». Comme le précise Laurent Chabin, l’important est avant tout que chaque auteur et chaque lecteur puissent y prendre du plaisir. « Il ne s’agit pas de faire une expérimentation boiteuse, mais bien de s’inscrire dans un style littéraire qui supporte une histoire, comme pour Contre Dieu de Patrick Senécal ».
Et il n’y a pas que la ponctuation qui puisse avoir une influence sur la lecture : le fait de laisser une ligne blanche ou non entre deux paragraphes, de faire un alinéa ou pas, ou encore de mettre des parenthèses dans des parenthèses sont autant d’actions qui ont un impact sur le lecteur et parfois même sur l’histoire. « C’est à chacun d’utiliser ce qu’il veut et de raconter son histoire à sa façon », souligne Laurent Chabin. « Et ce qu’on décide est souvent en fonction du texte que l’on veut écrire et du style que l’on choisit », ajoute Martin Winckler.
Maintenant, avouez!, vous ne lirez plus jamais un texte de la même manière, si?! Non…
Entrevue réalisée par : Christelle Lison
Photos : Isabelle Bolduc