L’événement Les Printemps meurtriers de Knowlton avait pour objectif d’intéresser les amateurs et les auteurs de polars. Quoi de mieux pour cela que d’inviter un expert en sciences judiciaires, spécialiste des projections de sang. Évidemment, cela vous rappelle tout de suite quelqu’un, Dexter Morgan, le fameux… tueur en série! François Julien partage avec lui sa passion des taches de sang, mais pas celle de tuer. Du moins, c’est ce qu’il m’a dit.
Enfant, François Julien rêvait d’être avocat. Par la suite, il a été tenté par les sciences médicales : vétérinaire, médecin, puis biologiste. Finalement, il est devenu microbiologiste-immunologiste. « Avant même d’avoir terminé l’université, j’ai été engagé dans un CLSC. C’était les débuts de ces centres. Mais je ne me sentais pas vraiment à ma place. Puis un jour, dans un journal, je lis qu’un biologiste a été témoigné dans le cadre d’un procès pour meurtre. Et ça, ça m’allume. Alors, tout naturellement à cette époque-là, je suis parti postuler dans le laboratoire cité, directement sur place. Je rencontre le chef, je lui pose des questions. Et il me dit que justement, la veille, quelqu’un a démissionné. Alors, je suis passé les voir une à deux fois par semaine pendant une couple de mois et finalement, le chef a dit oui. Par la suite, j’ai passé le concours et j’ai été embauché un 1er avril ». Peu de temps après, François Julien reçoit une lettre de l’Université McGill qui l’accepte en médecine… Mais le jeune homme refuse l’invitation, persuadé d’avoir trouvé sa place, et il ne s’est visiblement pas trompé.
François Julien a passé 35 ans au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale. « Je n’ai jamais regretté ce choix », souligne l’expert. « J’ai travaillé sur plus de 700 scènes de mort suspecte, j’ai réalisé plus de 400 témoignages en cour, j’ai formé environ 250 policiers par année pendant 25 ans. J’ai été le premier au Canada à m’intéresser aux projections de sang puis à l’ADN. Alors des regrets, je n’en ai aucun! J’ai choisi ce travail en sachant que cela allait être du 7 jours par semaine, 24/24, partout à travers le Québec. Ce n’est pas facile, mais c’est le métier que j’ai voulu faire ».
À Knowlton, pendant sa classe de maître intitulée Théorie des projections de sang, François Julien a expliqué à la quarantaine de personnes présentes en quoi consistait cet emploi qui l’a tellement passionné. Avec humour, histoires décapantes et photos réelles (âmes sensibles s’abstenir comme nous l’a précisé le conférencier), nous avons pu mieux comprendre le travail des experts en sciences judiciaires. « Évidemment dans les séries télévisées et dans les romans, il y a des choses qui sont inexactes ou qui ne sont pas possibles, mais ce n’est pas important. Ce qui compte, c’est le plaisir que les gens en retirent ». François Julien est d’ailleurs lui aussi un amateur de frissons. Mais lui, il a la chance d’être passé de l’autre côté de la caméra ou de la plume. « J’ai aidé des auteurs et des scénaristes pour certaines de leurs réalisations. Ils me demandent des conseils et c’est toujours avec plaisir que je le fais ». Ainsi, l’expert a conseillé à de nombreuses reprises Chrystine Brouillet. « Il m’est vraiment d’une aide précieuse », me confie l’écrivaine. « Des fois, l’idée me trotte dans la tête et lorsque je lui parle, les choses s’éclaircissent ». Il a fait de même pour Fabienne Larouche dans Fortier et même pour un film américain avec Denzel Washington et Angelina Jolie.
Aujourd’hui à la retraite, François Julien n’a que de bons souvenirs de son passage au Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale. Son truc pour avoir tenu aussi longtemps, c’est de se détacher de la situation et de ne pas se laisser atteindre émotionnellement. « C’est le Docteur André Lauzon qui était pathologiste au laboratoire qui m’a appris cela. Il m’a fait comprendre que la personne décédée était devenue une pièce de viande et que si on voulait l’aider, il fallait comprendre. Et pour comprendre, il faut rester neutre et objectif. Si on veut trop, cela ne donnera pas de résultat ». La devise du Laboratoire de sciences judiciaires et de médecine légale est d’ailleurs : « N’avance rien que tu ne sois capable de prouver ».
En terminant l’entrevue, j’ai précisé à François Julien qu’il nous avait donné quelques bonnes idées de meurtres… Mais le meurtre parfait est-il possible? « Je pense que les meurtres qui ne sont pas résolus aujourd’hui, c’est simplement parce que la science n’est pas encore assez loin. Demain, ils seront peut-être résolus ». En tout cas, si je veux tuer quelqu’un, et faire passer cela pour un suicide ou pour un accident, je prendrai le temps d’appeler François Julien, histoire de ne pas me faire prendre trop simplement!
Entrevue réalisée par : Christelle Lison
Sur la photo : François Julien
Photo : Christelle Lison